mercredi 2 janvier 2008

Suite de l'échantillon, 11 à 15

11/36


Lendemains de Noël


La neige tombe,
Les lampions se sont éteints,
Les sapins ont perdu
Leurs décorations.

Dans une ruelle, seul,
Allongé dans la boue glacée,
Une bouteille vide à son côté,
Un vieillard meurt lentement,
De froid, de faim

Et de tristesse.
C'est le clochard
Qui, il y a quinze jours

A peine
Incarnait le rôle du Père Noël

Devant les Grands Magasins.


12 juin 1982



12/37


Honneur aux balayeurs !


Mon outil de travail
Est le sceptre,

Dit le roi.
Et moi,
Mon outil de travail

Est le balai,
Dit le balayeur.
Que fais-tu

De ton outil de travail ?
Interrogea le balayeur.
Je montre mon autorité

Fit le roi.
Et moi,
Avec mon balai,

Je balaie la poussière
Et même quelquefois les rois

Qui sont tombés dedans
Sans le faire exprès…
On les avait poussés.

Il y aura toujours des balais
Ou des aspirateurs,
Ou des robots-extrêmement-perfectionnés-empêchant-la-poussière-de-se-déposer.
Mais un jour,
Il n'y aura plus,

Mais plus du tout
D'autorité…
Gloire et honneur
Aux balayeurs !


12 juin 1982


13/43


Héros de son temps


Hier on disait :
"Il a tenté la face nord du Grépon
En plein hiver, en solitaire".
Hier on disait :

"Il a été dans une contrée,
Où aucun Européen
Jamais n'est venu.
Là-bas,

Ils portent tous
Un os dans le nez.
Même qu'il a dû

S'en improviser un
Avec la côtelette
Qu'il mangeait,
Pour passer inaperçu
Quand le roi des sauvages
Est venu".
Mais demain on dira :
"Il a traversé
Paris à vélo".

Et tous pousseront
Des cris d'admiration
Et voudront
Rencontrer ce héros.


8 juillet 1982



14/53


L'éveil de la terre


Au cœur de la ville,
Dans une tranchée
Creusée dans la chaussée,
La terre s'éveille,
La terre respire,
S'étire et baille.
Elle regarde le ciel et se souvient.
Il y a bien longtemps ici,
Il y avait des champs,
Et avant, la forêt,
Et avant, la pierre et les rochers.
Mais la ville est venue.
…Ils m'ont étouffée sous leurs tonnes de pavés,
Taillés trop régulièrement pour être honnêtes.
Et les hommes m'ont enfermée
Dans de ridicules petits enclos
Qu'ils ont baptisé "jardins",
Et puis aussi,
Ils vont me voir très loin,
A "la campagne" comme ils disent.
Alors que je suis toujours là,
Sous leurs pieds.
Comme j'étais bien avant.
J'entendais les oiseaux chanter.
Soudain, elle sourit,
Après tout, ça ne fait rien,
Dans deux ou trois millions d'années,
De terre seront devenues les pierres qui me recouvrent.
Il me suffit d'attendre.
Alors, rassurée elle se rendort,
Et les cantonniers,
Avec des pavés,
Viennent la border.


16 octobre 1982



15/59


Hyppolite Maindron


Pour qu'on n'oublie pas les grands hommes
On donne leur nom à des rues,
Qui un jour devient pour le populaire,
Synonyme d'une épicerie
Ou d'un bureau de tabac
Qui se trouve là.
Combinaison de syllabes
A sonorité nationale ou étrangère,
Ma foi,
Il faut bien qu'une rue porte un nom,
Alors, pourquoi pas "Hyppolite Maindron" ?
Ce nom évoquait pour moi
Le marchand de journaux,
Deux cafés et un croisement.
Au Louvre,
Au fond d'une vitrine,
Un jour, je découvris que c'était un sculpteur.
Parmi les habitants de mon quartier,
Je dois être un des rares à le savoir.
Ainsi, de l'illustre Hyppolite,
Le nom est perpétué,
Mais le sculpteur,
Depuis longtemps est oublié.

Il a eu, notez-le,
Plus de chance
Qu'un autre ciseleur de bronze

Et tailleur de pierres :
L'aimable Pigalle,
Dont l'hommage des édiles,

Rendit le nom,
Par un glissement fatal,
Synonyme de prostitution.


27 novembre 1982




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