jeudi 10 janvier 2008

Suite du recueil, 11 à 20

11

Le jardin endormi sous la neige


Le jardin des rosiers d'argent
Dort sous la neige du printemps.
Les roses non écloses
Reposent dans leur écrin blanc.
Un sourire viendra les réveiller,
Alors, la neige s'envolera,
Les roses s'ouvriront.
Et parmi les fleurs éclatantes de l'été,
J'irai me promener d'un pas léger,
Ta main doucement serrée dans la mienne.
Devant la plus belle des roses,
Je m'arrêterai,
Et dans tes bras,
Je contemplerai le bonheur d'être aimé.


17 janvier 1982


12


Je te dirai


J'irai voir l'arbre,
Je poserai mes deux mains sur son écorce ancienne,
Je regarderai son feuillage,
Et lui parlerai :
O toi qui es si vieux,
De la vie tu sais bien des choses,
Qui furent dévoilées sous ton ombrage.
Mais aujourd'hui, c'est à toi que je parlerai,
J'ai quelque chose à te dire…
Puis, je monterai sur la dune,
Et j'irai voir la mer
A l'horizon perdu dans les brumes argentées.
Je m'assiérai sur la grève infinie,
Et j'attendrai.
Quand la nuit venue,
Toute forme aura disparu,
Le ciel et la mer se confondront,
Et la Lune mènera sur les flots
Son ballet fantomatique.
Alors, je regarderai ma pâle amie lointaine,
Perdue dans les nuages
Et lui parlerai.
Ensuite, à chaque étoile qui scintillera,
Je parlerai.
Quand le ciel deviendra gris,
Les lumières de la nuit pâliront et s'éteindront,
L'oiseau chantera.
Et quand le jour se lèvera,
Je tournerai le dos au soleil,
Et marcherai vers la ville,
Peu après l'aube,
Je frapperai à ta porte,
Tu m'ouvriras,
Et je te dirai

Viens, suis-moi,

La vie est belle.


20 janvier 1982




13


Rêve d'un soir


J'aimerai,
Sur une grève déserte,
Un soir d'été,
Contempler la mer dans tes yeux.
Mes mains doucement posées sur tes reins,
Serrant tendrement ton corps contre le mien.
Vibrante caresse, la brise légère dans tes cheveux,
Odeur des algues marines,
Au loin, quelques lumières,
Un oiseau s'en va criant.
A l'horizon,
La nuit déroule ses foulards de velours noir,
Au-dessus de l'immensité des vagues éteintes.
Ah ! comme la vie paraîtrait belle,
Par ce soir tranquille,
Au bord de la mer endormie,
Où j'aurais tout oublié,
Pour me perdre dans un rêve lointain,
Tout au fond de tes yeux verts abîmes
Où je vois la mer.


7 février 1982




14

Un sourire avec un balai


Trente-sept années,
Il a bourlingué par les caniveaux de Paris,
Et porté les poubelles du quartier.
Bientôt à la retraite, il va s'en aller,
Mon ami Jeannot,
Le balayeur chantant,
Qui sait plus de chansons,
Qu'il n'a usé de balais.
Jeannot est très riche,
Alors il rit de ceux qui le méprisent
Ceux qui ont de l'argent.
Lui il est riche à millions
Jeannot,
Dans le coffre-fort de son cœur,
Toujours ouvert aux amis
Il déborde de richesses.
Des montagnes d'or comme ça,
On ne les trouve pas dans les coffres-forts ordinaires.
Elles sont trop précieuses pour qu'on puisse les trouver
Dans de vulgaires armoires de métal.
Elles n'ont pas cours à la Bourse.
Mais à celle des Valeurs du Cœur,
Elles sont cotées
Et bien cotées,
Les montagnes d'or de Jeannot
Dans peu de temps
Jeannot, tu poseras ton balai
Et tu diras adieu
Aux hommes habillés de vert,*
Aux camions mangeurs de détritus,
Au caveau,** aux gamelles,***
Au balai
Et aux caniveaux.
C'est la retraite pour toi,
Mais viens me revoir bien vite,
Boire un verre et on bavardera.


10 février 1982


* Les boueux (balayeurs) de Paris portent une tenue de travail de couleur verte.

** Jargon des boueux de Paris : local souterrain dont l'accès sur la voie publique s'effectue souvent par une trappe. On y trouve matériel (balais...), vestiaires, douches, bureau. On les distingue par leur désignation administrative. Exemple : "le caveau de la 7-1". C'est à dire le local 1 du 7ème arrondissement de Paris.

*** Toujours le même jargon : poubelles.




15

Que faire ?


Que faire,
Entre deux regards
Deux cœurs
Et moi ?
Je voudrais aimer
Et l'une et l'autre.
Ne faire de tort,
Ni à l'une,
Ni à l'autre.
Dites-moi,
Réfléchissez bien,
Que faire
Entre deux regards
Et deux coeurs
Qui battent peut-être déjà,
Tous les deux,
Pour moi ?


10 février 1982




16

Caisse

Des chiffres plein la tête


Des chiffres,
Des chiffres
Plein
Plein
Plein la tête,
Des chiffres à taper,
Des boîtes qui défilent,
Des étiquettes,
Des prix,
En chiffres,
En chiffres,
En chiffres,
La monnaie à rendre
Et faire attention,
La machine ronronne,
La monnaie à rendre
Faire attention,
Faire attention.
Après le travail, la tête
Qui ne vous sera pas rendu.
Chiffres, chiffres, chiffres…
Et à la fin du mois,
Les nerfs plein la tête,
Les poches presque vides,
Que ne remplit pas
Le sourire du patron.
Et des chiffres,
Des chiffres,
Des chiffres
Plein
Plein
Plein
La tête,
La tête,
La tête,
Chiffres,
Tête,
Chiffres,
Tête…
Que de jours ai-je passé,
Toutes ces longues matinées à devenir fou,
Pour une paye de misère,
Chez un riche patron,
Tout en vivant en compagnie d'une personne
Qui ne m'aimait pas ?


18 février 1982




17


Les serrures à secrets


Les serrures étaient là,
A peine rouillées,
Les clefs étaient là,
Sur la table.


Personne n'avait osé y toucher,
Depuis mille et mille années.


Je les ai prises,
Et j'ai ouvert
Toutes les portes,
Et toutes les serrures
De nos si beaux secrets.


11 mars 1982




18


La pelouse de Verlaine


Allongés à demi, au pied d'un arbre,
Sur le tapis d'herbe verte,
Leur amour fraîchement éclos avec le printemps,
Deux amoureux, tout timides et étonnés de s'aimer,
Regardent la pelouse et ne disent rien.
Puis, pour cacher leur désoeuvrement et occuper leurs mains,
Ils allument chacun une cigarette.
Moi,
Qui passait par là,
J'aurais voulu les interpeller :
Cessez de fumer !
Enlacez-vous, nom d'un chien !
Après les avoir un peu regardé,
De pas trop près, pour ne pas les déranger,
J'ai marché jusqu'à ce que je ne les vois plus.
Je me suis arrêté et me suis assis.
Puis, j'ai été pris d'un doute :
Avais-je bien vu,
Etaient-ils vraiment timides et amoureux ?
J'ai voulu savoir la suite de leur histoire.
Je suis revenu sur mes pas.
C'était toujours la même pelouse,
Avec le même buste de Verlaine.
Mais, au pied de l'arbre,
Ils n'étaient plus là.
L'herbe rase était calme et déserte.
Que sont-ils devenus ?
De leur passage seule reste une vague empreinte
A peine perceptible aux yeux des humains.
Une empreinte
Que le temps va bientôt effacer,
Avec un peu de vent,
Une pluie de printemps,
Et peut-être,
Oh bonheur !
Des amoureux
Qui s'enlaceront tendrement au pied de l'arbre
Dans la pelouse silencieuse
Où s'élève le buste de Verlaine.


16 mars 1982




19


Le sourire aux yeux verts


Dans le jardin de mes pensées
Fleurit une fleur merveilleuse.


C'est un éclatant et doux sourire
Aux yeux verts.


Comme j'aimerais
M'abîmer dans sa corolle,
Et m'enivrer de son parfum !


Hélas, cette fleur est encore
A moi inaccessible.


Sauras-tu un jour
Que je t'aime,
Et m'aimeras-tu alors ?


O toi,
Mon merveilleux sourire,
Dont l'image brillante
Accompagne parfois
Mon sommeil
Et éclaire
La douce grisaille
De mes jours.


22 mars 1982




20


Le retour de la Grande Tendresse


Tendre comme l'amour naissant,
Dans les forêts et les jardins, où la Nature s'éveille,
Brillent les petites feuilles vertes du Printemps.
D'Afrique reviennent les palombes.
Les rivières gonflées par les pluies
Sont sagement rentrées dans leur lit.
Bientôt, perdus dans la masse confuse des feuillages,
Ou dans le secret des fourrés,
Bien cachés à l'abri de leurs nids,
On entendra piailler les oisillons.
Et dans les cours, sur les toits,
Pour de belles dames aux yeux verts,
Brailler et se battre les seigneurs des rues,
Grands griffus au miaulement rauque et à la fourrure soyeuse.
Les petits enfants seront tout contents de pouvoir à nouveau,
Offrir à la caresse du vent leurs bras et leurs jambes nus.
Les jolies filles nous charmeront
Par toute la gloire de leurs corps,
Largement dévêtus.
Et nous découvrirons
Emerveillés,
Les formes nouvelles et gracieuses
De celles que l'hiver nous avait gardées
Jusqu'à présent emmitouflées.
Nos regards iront se perdre
Dans les décolletés profonds
Rencontrés au hasard de notre chemin,
Et sous les jupes légères des belles
Qui montent devant nous les escaliers du métropolitain.
Alors, sur les bords verdoyants du Canal de l'Ourcq,
Dans la fraîcheur des sous-bois tranquilles,
Je m'en irai, flânant,
Sur mon grand oiseau vert à deux roues.
C'est le retour de la tristesse et du bonheur
Dans les cœurs énamourés.
C'est le retour de la Grande Tendresse,
Qui précède la lumière de l'été.


27 mars 1982



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