lundi 14 janvier 2008

Suite du recueil, 47 à 60

47


Un peu d'éternité


Je ne voudrais pas mourir,
Même si ça paraît absurde,
Si c'est mon intérêt
Je ne veux pas.
Et puis,
Je ne voudrais pas voir mourir
Ma mère,
Et aussi,
Je demande l'éternité
Pour tous mes amis,
Pour tous les gens sympas
Quoi !
Je voudrais
Qu'il n'y ait
Que les salauds
Qui crèvent.


La Bérarde, le 2 août 1982 (4 heures 30 du matin)



48


Souvenir de Saint-Christophe-en-Oisans


Non, je ne veux plus voir
L'église,
Le cimetière,
Les poteaux électriques,
Toutes ces bêtises
Qu'on voit
En revenant
Vers le village.
Je veux m'asseoir
Sur ces pierres
Ecouter le murmure
D'un torrent lointain
Et ne voir que le ciel
Et les montagnes.
Vastes épaules ravinées,
De géants endormis,
Dont les têtes
Se couvrent
De neige
Et de glace,
Et les pieds
D'humus
Et de sapins.


Saint-Christophe-en-Oisans, le 8 août 1982



49


Pics acérés


Désert de pierres,
Pics acérés.
Du haut de leurs rochers pourris,
Les aiguilles du Soreiller
Me regardent passer,
Indifférentes.
Leurs cœurs sont de pierre,
Comme le triste chemin
De ma solitude.
Quand, enfin,
Reverdiront
Les prairies
De mes rêves ?


Ailefroide, en Vallouise, le 15 août 1982




50


La vie douce


Un jour
La vie sera douce,
Plus douce
Que la plume
De l'oiseau.
Plus douce
Que la peau
D'une femme.
Plus douce
Que la joie
D'un enfant.
Plus douce
Que la lumière
Du soleil levant
Sur les montagnes
Endormies.
La vie sera douce
Comme le regard
De ma bien-aimée,
Que je vois dans mes rêves
Mais ne peux toucher.


Ailefroide, en Vallouise, le 15 août 1982




51


Réceptionniste pressé l'après-midi


A l'hôpital
C'est un employé,
Il a un bureau,
Un téléphone
Et une grande pile
De feuilles d'ordinateur,
Avec un tas de noms dessus.
Il est dérangé
Sans cesse,
En ce moment,
Il s'occupe
De deux dossiers
Et de trois personnes,
Dont un ambulancier.
Une sonnerie retentit,
"Décédé cette nuit,
Comment ?
Décédé cette nuit,
Voilà, Monsieur"
Et il raccroche aussitôt.
Et moi qui attendais
J'ai vu ça.
Comment pouvait-il
Répondre autrement ?
Il s'occupait en même temps,
De deux dossiers,
Trois personnes,
Plus les coups de téléphone…


14 septembre 1982




52


Regard serein


J'aime la vie,
L'amour
Et la poésie.
C'est pourquoi,
La vue de gens
Qui s'aiment
M'émerveille.
Et je n'envie pas
Ceux qui
Autour de moi
Vivent à deux
Sans être amoureux.


14 octobre 1982




53


L'éveil de la terre


Au cœur de la ville,
Dans une tranchée
Creusée dans la chaussée,
La terre s'éveille,
La terre respire,
S'étire et baille.
Elle regarde le ciel et se souvient.
Il y a bien longtemps ici,
Il y avait des champs,
Et avant, la forêt,
Et avant, la pierre et les rochers.
Mais la ville est venue.
…Ils m'ont étouffée sous leurs tonnes de pavés,
Taillés trop régulièrement pour être honnêtes.
Et les hommes m'ont enfermée
Dans de ridicules petits enclos
Qu'ils ont baptisé "jardins",
Et puis aussi,
Ils vont me voir très loin,
A "la campagne" comme ils disent.
Alors que je suis toujours là,
Sous leurs pieds.


Comme j'étais bien avant.
J'entendais les oiseaux chanter.


Soudain, elle sourit,
Après tout, ça ne fait rien,
Dans deux ou trois millions d'années,
De terre seront devenues les pierres qui me recouvrent.
Il me suffit d'attendre.
Alors, rassurée elle se rendort,
Et les cantonniers,
Avec des pavés,
Viennent la border.


16 octobre 1982




54


Soleil voyageur


Les Antillais qui s'en vont en Métropole travailler,
Ont bien froid,
Alors, comme ce sont des malins,
Ils emportent un peu de leur soleil avec eux.
Pour le transporter, ils utilisent des récipients spéciaux :
Grokas, bongos, maracas…
Puis, ils se réunissent après le boulot,
Et comme le soleil a froid lui aussi,
Et ne veut pas sortir,
Ils tapent très fort sur les tambours,
Agitent les maracas,
Et à la fin le soleil en a marre
Et bondit hors des récipients où il était caché.
Alors, aussitôt, les Antillais dansent, rigolent,
Continuent de taper, de taper et taper encore,
Et soudain, du trois pièces à Ivry, Aulnay ou Barbès,
Ils se sont retrouvés à l'ombre des palmiers,
Au pied de la Soufrière,
Et sur la route du Lamentin.
Cependant, les voisins européens,
Qui n'y comprennent rien,
Appellent la police.
Elle arrive, frappe à la porte des Antillais,
Qui ouvrent et font des airs contrits et repentants.
Et le soleil lui, s'est caché vite fait dans un placard.
Le soleil des Antilles
Qui est, comme chacun sait,
Une très jolie fille nue,
Couleur café au lait
Ou chocolat.


26 octobre 1982




55


Splendeur d'automne


Tapis fauve
Qu'on foule
D'un pas nonchalant.
Feuilles mortes,
Dernier souvenir
De l'été passé,
Combien vous vîtes
D'amours délaissées.
Sous l'écorce noire
Du présent,
La sève meurtrie
Attend le printemps.


27 octobre 1982




56


Trois boutons d'or


Quand je suis entré,
Il y avait assis,
Trois boutons d'or.
L'une, très belle,
L'autre, un peu ronde,
La troisième, aux yeux bleus.
Celle un peu ronde
M'a sourit,
A côté d'elle,
Je me suis assis.
Les autres ont ri,
Et l'ont charrié.
Quand elles se sont levées pour partir,
M'ont-elles chacune regardé ?
En tous cas,
La ronde s'est retournée
Et m'a sourit,
Et la très belle
Aussi.


31 octobre 1982




57


La « vie active »


Tous les jours
Répéter
Les mêmes gestes
Et attendre
L'heure
De la sortie
Pour une paie
A la fin du mois.
Vous appelez ça
La "vie active" ?
Demandait un fou.

C'était moi.


6 novembre 1982




58


Aux illustres inconnus


Quand votre deuil illustre,
Fit élever
Cette statue de bronze,
Maladroite
Œuvre de quelque nullité
Des Beaux-Arts,
Singeant le Classique,
On fit des discours,
On sonna des trompettes,
Et on déposa des fleurs.
Saviez-vous alors,
Qu'un jour,
Vous ne recevriez plus
Que l'hommage gluant
Des oiseaux,
Sous le regard étonné
Des petits enfants
Intrigués
Par votre moustache de bronze
Et votre coiffe
D'une époque révolue ?


27 novembre 1982




59


Hyppolite Maindron


Pour qu'on n'oublie pas les grands hommes
On donne leur nom à des rues,
Qui un jour devient pour le populaire,
Synonyme d'une épicerie
Ou d'un bureau de tabac
Qui se trouve là.
Combinaison de syllabes
A sonorité nationale ou étrangère,
Ma foi,
Il faut bien qu'une rue porte un nom,
Alors, pourquoi pas "Hyppolite Maindron" ?
Ce nom évoquait pour moi
Le marchand de journaux,
Deux cafés et un croisement.
Au Louvre,
Au fond d'une vitrine,
Un jour, je découvris que c'était un sculpteur.
Parmi les habitants de mon quartier,
Je dois être un des rares à le savoir.
Ainsi, de l'illustre Hyppolite,
Le nom est perpétué,
Mais le sculpteur,
Depuis longtemps est oublié.
Il a eu, notez-le,
Plus de chance
Qu'un autre ciseleur de bronze
Et tailleur de pierres :
L'aimable Pigalle,
Dont l'hommage des édiles,
Rendit le nom,
Par un glissement fatal,
Synonyme de prostitution.


27 novembre 1982




60


Les jolis noms


Comme les noms des rues étaient jolis jadis.
Rue de l'Arbre Sec,
Rue du Roi Doré,
Rue du Pélican…
Et logiques ;
Rue des Tanneurs,
Car on y tannait,
Rue de la Boucherie,
Car on y tuait,
Rue de la Truanderie,
Car on y truandait,
Ou bien,
Rue Pavée au Marais,
Car les autres ne l'étaient pas.
Voyait-on
Une enseigne
Avec un arbre sec,
Ou des bouchers,
Et on savait
Où on était.
Tandis que maintenant,
Allez distinguer
La rue de l'Amiral Dupond,
De la rue de l'Amiral Durand !


27 novembre 1982



1 commentaires:

À 28 mars 2008 à 15:20 , Blogger Unknown a dit...

Ce pauvre Maindron se prénommait-il vraiment Hyppolite ? N'est-ce pas plutôt Hippolyte ?

 

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil